28 mai 2008

Tensions au sein de l’Eglise péruvienne.

DIAL[1] a demandé à Bruno Van der Maat, théologien laïc vivant à Arequipa, au Pérou, depuis 25 ans, de revenir sur les tensions auxquelles sont en proie les diocèses Sud-andins du pays. […]

epuis un certain temps, la situation de l’Église dans la partie sud-andine du Pérou se trouve bousculée par des événements qui choquent une bonne partie des fidèles et de ceux qui s’intéressent à cette région. La récente discussion entre le prélat-évêque de Juli et les prêtres de la Société de Maryknoll, originaire des États-Unis, a fait des remous. Les prêtres de la Société de Maryknoll se sont établis dans cette prélature située à près de 4 000 mètres d’altitude, en pleine population de culture aymara, en 1943. Depuis lors, ils ont œuvré dans la pastorale menant une évangélisation qui s’est orientée vers le respect de la culture locale et le développement d’une des régions les plus pauvres du Pérou.

Le 1er juillet 2006, le nouvel évêque, José María Ortega, prit possession du siège de la prélature de Juli, en succession de Mgr Elio Pérez, évêque salésien, gravement malade (celui-ci décéda en décembre de la même année). L’arrivée du nouvel évêque, appartenant à l’Opus Dei, marque une rupture avec la tradition épiscopale locale. […] Les prélats antérieurs (diocésains, carmélites, dominicains, salésiens, maryknoll et autres) avaient tous soutenu une perspective d’évangélisation en dialogue avec les cultures locales (quechua et aymara), une politique de défense des droits humains (rappelons que le Sud andin a été fortement touché par le terrorisme de Sentier Lumineux et la répression d’État) et un effort de développement dans la lignée de la doctrine sociale de l’Église, prenant très au sérieux l’option préférentielle pour les pauvres.

Depuis quelques années, ils ont été remplacés par des évêques d’une toute autre vision théologique et appartenant à des mouvements ecclésiaux de tendance néo-classique, comme les aurait qualifiés P.Henri Bourgeois : Opus Dei, Sodalitium Christianae Vitae, Chemin du néo-catéchuménat. Il est normal qu’un tel changement fasse des remous. […] Le groupe le plus nombreux parmi les évêques du Sud du Pérou est, sans aucun doute, l’Opus Dei. Il gère, actuellement, la plupart des diocèses depuis Lima jusqu’à la frontière chilienne […] Si on y ajoute un évêque dans le nord du pays, cela fait au total 11 évêques actifs sur 50 qui forment la Conférence épiscopale du Pérou. C’est un poids que beaucoup critiquent. Aucune congrégation n’a jamais eu une représentation aussi écrasante dans la Conférence épiscopale. En outre, l’Opus Dei n’est vraiment pas un mouvement de masse, ce qui justifie, encore moins, leur poids au niveau épiscopal. Un autre mouvement récompensé pour ses "services" par un (archi)diocèse est le mouvement d’origine péruvienne (mais présent dans bon nombre de pays latino-américains et bien implanté à Rome) Sodalitium Christianae Vitae qui a deux évêques […]

Ces mouvements paraissent avoir, tous, la même politique quand ils obtiennent la charge d’un diocèse. Selon les dires des nouveaux évêques […], ils viennent pour "enfin" instaurer l’Église et sauver les âmes perdues. Ils constituent le début de la présence ecclésiale, car, avant eux, rien (de bien) n’a été fait.

Normalement, ils arrivent avec un groupe de soutien important (universités et professionnels de leur mouvement, ressources financières, moyens de communication, etc.). Le clergé local passe en second lieu, après les membres du mouvement. La population locale est considérée majoritairement comme inculte et non-évangélisée, au point qu’on lui refuse la communion. La culture locale est dédaignée comme païenne et infestée de superstitions. Il n’y a pratiquement pas d’espaces de dialogue, car les nouveaux venus sont propriétaires de "LA" vérité. La communion ecclésiale est entendue comme l’obéissance stricte à l’évêque. Il n’y a pas d’intérêt pour la promotion de projets en commun, par exemple avec les diocèses voisins.


Depuis l’arrivée de ces nouveaux évêques, l’Institut de pastorale andine, qui avait été formé par tous les évêques de la région pour étudier les cultures locales et adapter l’action de l’Église à ces cultures, ainsi que pour coordonner des actions pastorales au-delà des frontières de chaque prélature, a pratiquement été démantelé. La parution des revues Pastoral andina et Allpanchis, qui avaient acquis un grand prestige national et international, de par la qualité de leurs études pastorales, anthropologiques et sociologiques, a été suspendue, et elles seront remplacées par des revues de contenu strictement "catéchétique et liturgique". […]

Après près de cinq siècles, l’Église péruvienne continue à être une Église dépendante de l’étranger. Sur les 50 évêques, 31 sont nés à l’étranger, 41 sont religieux ou appartiennent à des mouvements – l’Opus Dei est en tête de liste, avec 11 évêques, suivi par 7 Franciscains et 6 Augustins. Sur les 50 évêques actifs, 19 évêques sont donc nés au Pérou, et 3 seulement sont diocésains !


De même, la plupart des prêtres au Pérou sont nés à l’étranger. Cela en dit beaucoup sur la structure de l’Église péruvienne. Les divers nonces apostoliques ne se sont pas vraiment efforcés de changer cette structure ; au contraire, ils l’ont rendue plus solide. La nomination récente d’évêques appartenant à des mouvements a compliqué la situation. Les diocèses deviennent des fiefs de certains mouvements, perdant le souci de la communion de l’Église. Chacun veut installer son propre séminaire et sa propre Université catholique, si possible. Quand un prêtre diocésain a demandé à un de ces nouveaux évêques s’il était évêque du diocèse ou de son mouvement, celui-ci a répondu que "le nonce avait pleine confiance dans les nouveaux mouvements". […]


[1] Diffusion de l’Information sur l’Amérique Latine. Voir : http://www.alterinfos.org/

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