28 mai 2008

La Bolivie : entre espoirs et inquiétantes tensions…




par Thomas de Roubaix

Ci-dessous, je vous fait part de quelques réflexions personnelles sur la politique latino américaine et sur la situation bolivienne en particulier.



Il y a un petit temps déjà qu’une question me chiffonne concernant la politique latino-américaine[1]. Comment arriver à se faire une petite idée, la plus objective possible sur la "valeur" de tel ou tel gouvernement ? Plusieurs facteurs rendent, à mon sens, la tâche particulièrement ardue. Pour commencer, le fait de ne pas résider dans le pays en question et, à fortiori, de ne pas en être originaire ne facilite pas les choses. Ensuite, l’évidence que nos affinités idéologiques, ainsi que celles de nos sources d’information, rendent l’objectivité bien relative. Enfin, la sensation que, plus un gouvernement semble original, plus on entend tout et son contraire à son sujet !


Où situer alors un gouvernement tel que celui de Evo Morales, “premier président indien”[2], dont l’arrivée au pouvoir il y a deux ans et demi était, pour une personne de gauche comme moi (pour faire simple et utiliser un terme global), porteuse d’espoirs ? Comment puis-je interpréter les commentaires contradictoires que j’entend, ci et là, alors que je suis loin d’être un spécialiste de politique internationale mais que ça m’intéresse quand même ? Comment ne pas réduire mon jugement à ce que mon papa m’en dit ou à ce que je lis (quand je m’applique) dans Le Monde Diplomatique.


Je vous préviens tout de suite, je risque fort de ne pas répondre à ces questions, leur raison d’être est, avant tout, susciter la réflexion. Pour ce faire, je voudrais dire quelques mots sur l’affiche électorale ci-dessous.

[3]


Il s’agit de l’affiche d’un des six candidats à la présidence au Paraguay, Lino. Celui-ci s’attaque à un autre des candidats de l’opposition, Lugo[4], en établissant, avec beaucoup de liberté, deux camps : celui de la Négociation (qu’il incarne, tout comme le brésilien Lula et l’argentine Kirchner) et celui du Conflit (qu’incarnent son opposant, ainsi que le vénézuélien Chavez et le bolivien Morales). Le camp de droite (sur l’image) garantit qu’avec lui nous gagnons tous, contrairement à celui de gauche avec lequel nous perdons tous. Il présente un programme clair fait de six promesses (qu’il attribue, du même coup, aux deux présidents de son "bord") face à leur strict contraire, tares de l’autre camp[5]. Je trouve cette affiche très parlante dans la mesure où elle présente, de façon subjective et un peu simpliste, deux camps qui correspondraient à deux grandes tendances de la gauche latino-américaine.


On pourrait résumer cette vision à une aile argentino-brésilienne “raisonnable” et une aile vénézuélo-bolivienne “radicale”. Mais, évidemment, tout est, souvent, une question de point de vue. Pour certains, il s’agit d’une tendance “réaliste et mesurée” contre une “chimérique et extrémiste”. D’autres parleront de gouvernements faisant preuve de “lâcheté”, “lenteur dans le changement”, “attitude pactisante” face à ceux qui témoignent de “courage”, “jusqu’auboutisme”, “détermination”. Bien sûr les choses sont rarement aussi manichéennes…mais cette dichotomie est révélatrice de ce que les médias, de tout bord, présentent et c’est pourquoi il est si périlleux de porter un jugement.


Qu’en est-il donc de la Bolivie de Evo? La situation est, semble-t-il, inquiétante. Les tensions s’avivent de jour en jour. Le pays est de plus en plus divisé. Deux ans après son arrivée à la tête de l’Etat, la situation politique est bloquée, son projet de nouvelle Constitution très contesté, et les riches régions pétrolières et agro-industrielles de la “media luna(les départements orientaux forment une demi-lune), cœur économique du pays, ont, “de fait”, proclamé leur autonomie.[6] Fin 2007, les débats autour de la nouvelle Constitution ont donné lieu, à Sucre, à des affrontements meurtriers (entre forces de l’ordre et mouvements d’opposition). Le parti du président (MAS, Mouvement vers le socialisme) a voté, dans l’urgence et en l’absence de l’opposition, un projet constitutionnel délégitimé par celle-ci vu qu’il n’a pas obtenu la majorité des deux tiers légalement nécessaires. Cette transgression des règles démocratiques, révèle la nécessité éprouvée par le gouvernement de “passer en force” sur un certain nombre de projets contestés.


Or ce “passage en force” risque de provoquer le rejet d’un projet de nouvelle Constitution qui comporte des avancées historiques en matière de construction d’un “Etat plurinational communautaire”, décentralisé, autonome et démocratique, et qui reconnaît enfin les droits des populations “originaires”[7]. […] Les événements récents montrent que, sous prétexte de dénoncer la “dérive autoritaire” et la “suspension de la démocratie
, unpopulisme conservateur peut utiliser les règles démocratiques (et parfois des moyens qui le sont beaucoup moins) pour bloquer toute tentative de changement. […] Le MAS se trouve confronté à un délicat dilemme : à mesure qu’il renforce la place spécifique du monde rural, il prend le risque de s’aliéner une population urbaine toujours plus séduite par la rhétorique anti-indienne d’élites régionalistes qui ont tout à perdre avec le nouveau texte constitutionnel.


Bien que dans nos pays cela semble plutôt inconcevable et que je sois un partisan convaincu du bien-fondé de la démocratie, la réalité latino-américaine rend parfois le questionnement “la fin justifie-t-elle les moyens ?” plus légitime et complexe qu’il n’y paraît (et ce n’est pas l’histoire politique latino-américaine du XXème siècle qui dira le contraire…)…Comme annoncé je ne réponds à aucune des questions de départ et je termine par une citation que je trouve plutôt appropriée :

Les medias donnent à voir, pas à réfléchir, encore moins à comprendre. L'image ment lorsqu'elle isole.(Paul Lombard)

[1] Bien que ces réflexions puissent probablement s’appliquer à toute politique, mon intérêt se porte plus souvent vers cette région du globe (affinités oblige…).

[2] Cette expression souvent entendue doit être relativisée en rappelant, par exemple, que l’Indien Zapotèque Benito Juarez fut président du Mexique pendant le XIXème siècle.

[3] Extrait du site d’information vénézuélien Noticias24 , voir www.noticias24.com/actualidad/?p=13238#more-13238

[4] Il y a une semaine, celui-ci a remporté les élections !

[5] Non respect des contrats >< Respect des contrats

République bolivarienne >< Réformes structurelles

Crise économique >< Croissance économique

Manque de travail >< Travail

Fuite de capitaux >< Investissements

Plus de chômage >< Plus d’emploi

[6] Ce passage et ceux qui suivent sont extraits (et oui) d’un article du Monde Diplomatique (“Révolution hors la révolution” en Bolivie, février 2008 – pp.18-19).

[7]Est considérée comme nation ou peuple indigène originaire toute collectivité humaine qui partage identité culturelle, langue, tradition historique, institutions, territoire et cosmovision, dont l’existence est antérieure à la colonie espagnole” (art.30).

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